Fra Ponge; Le parti pris des choses

På dansk

PLUIE

La plui, dans la cour où je la regarde tomber, descend à des allures très diverses. Au centre c´est un fin rideau (où réseau) discontinu, une chute implacable mais relativement lente de gouttes probablement assez légères, une précipitation sempiternelle sans vigeur, une fraction intense du mètéore pur. A peu de distance des murs de droite et de gauche tombent avec plus de bruit des gouttes plus lourdes, individuées. Ici elles semblent de la grosseur d´un grain de blé, là d´un pois, ailleurs presque d´une bille. Sur des tringles, sur les accoudoirs de la fenêtre la pluie court horizontalement tandis que sur la face inférieure des mêmes obstacles elle se suspend en berlingots convexes.Selon la surface entière d´un petit toit de zinc que le regard surplombe elle ruisselle en nappe très mince, moirée a cause de courants très variés par les inperceptibles ondulations et bosses de la couverture. De la gouttière attenante où elle coule avec la contention d´un ruisseau creux sans grande pente, elle choit tout a coup en un filet parfaitement vertical, assez grossièrement tressé, jusqu´au sol où elle se brise et rejaillit en aiguillettes brillantes.

Chacune de ses formes a une allure particuliére; il y répond un bruit particulier. Le tout vit acec intensité comme un mécanisme compliqué, aussi précis que hassardeux, comme une horlogerie dont le resort est la pesanteur d´une masse donné de vapeur en précipitation.

Le sonnerie au sol des filets verticaux, le glou-glou des gouttières, les minuscules coup de gong se multiplient et résonnent à la fois en un concert sans monotonie, non sans délicatesse.

Lorsque le resort s´est détendu, certain rouages quelque temps continuent à fonctionner, de plus en plus ralentis, puis toute la machinerie s´arrête. Alors si le soleil reparaît tout s´efface bientôt, le brillant appareil évapore: il a plu.

 

LE MOLLUSQUE

Le mollusque est un être - presque une - qualité. Il n´a pas besoin de charpente mais seulement d´un rempart, quelque chose comme la couleur dans le tube.

La nature renonce ici à la présentation du plasma en forme. Elle montre seullement qu´elle y tient en l´abritant soigneusement, dans un écrin dont la face intérieure est la plus belle.

Ce n´est donc pas un simple crachat, mais une réalité des plus précieuses.

Le mollusque est doué d´une énergie puissante à se renfermer, Ce n´est à vrais dire qu´un muscle, un gond, un blount et sa porte. Le blount ayant sécrété la porte. Deux portes légèrement concaves constituent sa demeure entière. - Première et dernière demeure. Il y loge jusqu´après sa mort.

La moindre cellule du corps de l´homme tiens ainsi, et avec cette force, à la parole,- et reciproquement. - Mais parfois un autre être vient violer ce tombeau, lorsqu´il est bien fait, et s´y fixer à la place du constructeur défunt. - C´est le cas du pagure.

 

LA BOUGIE

La nuit parfois ravive une plante singulière dont la lueur décompose les chambres meublées en massifs d´ombre.

Sa feuille d´or tient impassible au creux d´une colonnette d´albâtre par un pédoncule trés noir.

Les papillons miteux l´assaillent de prèférence à la lune trop haute, qui vaporise les bois. Mais brûlés aussitôt ou vannés dans la bagarre, tous fremissent aux bords d´une frénésie voisine de la stupeur.

Cependant la bougie, par le vacillement des clartés sur le livre au brusque dégagement des fumées originales encourage le lecteur, - puis s´incline sur son assiette et se noie dans son aliment.

 

LE CYCLE DES SAISONS

Las de s´être contratés tout l´hiver les arbres tout à coup se flattent d´être dupes. Ils ne peuvent plus y tenir : ils lâchent leur paroles, un flot, un vomissement de vert. Ils tâchent d´aboutir à une feuillaison complète de paroles. Tant pis ! Cela s´ordonnera comme cela pourra ! Mais, en réalité, cela s´ordonne! Aucune liberté dans la feuillaison... Ils lancent, du moins le croient ils, n´importe quelles paroles, lancent des tiges pour y suspendre encore des paroles: nos troncs, pensent ils, sont là pour tout assumer. Ils s´efforcent à se cacher , à se confondre les uns dans les autres. Ils croient pouvoir dire tout, recouvrir entièrement le monde de paroles variées: ils ne disent que ´les arbres´. Incabables même de retenir les oiseaux qui repartent d´eux, alors quils se réjouissaint d´avoir produit de si étranches fleurs. Toujours la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et le même limite, toujours des feuilles symétriques à elles- mêmes, symétriquement suspendues! Tente encore une feuille! - La même! - Encore une autre! La même! Rien en somme ne saurait les arrêter que soudain cette remarque:´L´on ne sort pas des arbres par des moyens d´arbres.´ Une nouvelle lassitude, et un nouveau retournement moral. ´Laissons tout ca jaunir, et tomber. Vienne le taciturne état, le dépouillement, l´AUTOMNE.

 

LES PLAISIRS DE LA PORTE

Les rois ne touchent pas aux portes. Ils ne connaissent pas ce bonheur : poser devant soi avec douceur ou rudesse l´un de ces grand panneaux familliers, se retourner vers lui pour le remetre en place, - tenir dans ses bras une porte.

Le bonheur d´empoigner au ventre par son næud de porcelaine l´une de ces hauts obstacles d´une pièce; ce corps à corps rapide par lequel un instant la marche retenue, l´æil s´ouvre et le corp tout entier s´accommode à son nouvel appartement.

D´une main amicale il la retient encore, avant de la repousser décidément et s´enclore, - ce dont le déclic du ressort puissant mais bien huillé agréablement l´assure.

 

L´ORANGE

Comme dans l´éponge il y a dans l´orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l´epreuve de l´expression. Mais où l´éponge réussit toujour, l´orange jamais: car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l´écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d´ambre s´est répandu, accompagné de rafraichissement, de parfun suave, certes, - mais souvent aussi de la conscience amère d´une expulsion prématurée de pépins.

Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l´oppression? - L´èponge n´est que muscle et se remplit de vent, d´eau propre ou d´eau sale selon: cette gymnastique est ignoble. L´orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, - et se sacrifice odorant... c´est faire à l´oppresseur trop bon compte vraiment.

Mais ce n´est pas assez avoir dit de l´orange que d´avoir rappelé sa facon particulière de parfumer l´air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l´accent sur la coloration glorieuse de liquide qui en resulte, et qui mieux que le jus de citron oblige le larynx à s´ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l´íngestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l´avant-bouche dont il ne fait pas se hériser les papilles.

Et l´on demeure au reste sans paroles pour avouer l´admiration que mérite l´enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l´épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.

Mais à la fin d´une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, - il faut en venir au pépin.Ce grain de la forme d´un minuscule citron, offre à l´extèrieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l´intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C´est en lui que se retrouvent, après l´explosion sensationelle de la lanterne vénitienne de saveur, couleur et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, - la dureté relative et la verdeur ( non d´ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille: somme toute petite quoique avec certitude la raison d´être du fruit.

 

L`HUÎTRE

L´huître, de la grosseur d´un galet moyen, est d´une apparence plus rugueuse, d´une couleur moins uni, brillament blanchâtre. C´est un monde opinâtrement clos. Pourtant on peut l´ouvrir : il faut alors la tenir au creux d´un torchon, se servir d´un couteau ébréché et peu franc, s´y reprendre à plusieur fois. Les doigts curieux s´y coupent, s´y cassent les ongles : c´est un travail grossier. Les coup qu´un lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d´une sorte de halos.

A l´intérieur l´on trouve tout un monde, à boire et à manger: sous un firmament(à proprement parler) de nacre, les cieux d´en-dessus s´affaissent sur les cieux d´en-dessous, pour ne plus former qu´une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l´odeur et à la vue, frangé d´une dentelle noirâtre sur les bords.

Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d´ou l´on trouve aussitot à s´orner.

 

LE PAIN

La surface du pain est merveilleuse d´abord à cause de cette impression quasi panoramique qu´elle donne : comme si l´on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.

Ainsi donc une masse amorphe en train d´éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s´est faconnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses...Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente.

Ce lâche et froid sous-sol que l´on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges: feuilles ou fleurs y sont comme des sæurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent: elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable...

Mais brisons-la: car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation.

 

LES MÛRES

Aux buissons typographiques constitués par les poème sur une route qui ne mêne hors des choses ni à l´esprit, certains fruits sont formés d´une agglomération de sphéres qu´une goutte d´encre remplit.

Noirs, roses et kakis ensemble sur la grappe, ils offrent plutôt le spectacle d´une famille rogue à ses âges divers, qu´une tentation très vive à la cueillette. Vue la disproportion des pépin à la pulpe les oisseaux les apprécient peu, si peu de chose au fond leur reste quand du bec à l´anus ils en sont traversés.

Mais le poète au cours de sa promenade professionnelle, en prend de la graine à raison : Ainsi donc, se dit-il, réussissent en grand nombre les efforts patients d´une fleur très fragile quoique par un rébarbatif enchevêtrement de ronces défendue. Sans beaucoup d´autres qualités, - mûres -, parfaitement elles sont mûres - comme aussi ce poème est fait.

 

LE CAGEOT

A mi-chemin de la cage au cachot la langue francaise a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.

Agencé de facon qu´au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu´il enferme.

A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l´éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d´être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathique, - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s´appesantir longuement